Le soleil venait tout juste de pointer le bout de
Le soleil venait tout juste de pointer le bout de son nez, il dormait encore. Tout était … là, suspendu, sans aucune conscience du temps qui passe ou ne passe pas, lentement ou non, tout était hors du temps, ailleurs, dans une existence simple et unique, une existence qui n’a même pas conscience d’elle-même. Il dormait dans mes bras, et moi j’étais quelque part, quelque part dans le bonheur, dans les souvenirs que nous avions vécus tous les deux, dans le souvenir des mots, des joies et des peines. Une espèce de chaleur, de souffle chaud m’entourait, j’étais en pleine torpeur, les yeux mi-clos. Je ne savais même pas que j’étais là. J’étais simplement heureuse, sans même m’en rendre compte. Heureuse, sans grandiloquence..
Oui, nous étions là, tous les deux, accrochés dans un temps qui n’existe pas, lui dans le sommeil, moi dans le rêve, sans avoir la moindre idée de nous-mêmes, et pourtant, oui pourtant il fallait que quelque chose se passe. C’est dans la nature des choses, de la vie, il y a toujours, toujours quelque chose qui se passe. Le temps allait nous rattraper, il n’avait pas le choix.
Et moi, idiote, je ne le savais même pas. Je restais là, la bouche en cœur, sans réaliser la chance que j’avais, et que je ne saisissais même pas. Oh et puis, qu’aurais-je pu faire ? Faire semblant de dormir ? Le serrer contre moi aussi fort que possible ? Fuir, fuir d’un coup, et qu’à jamais cela reste le souvenir invincible, indestructible, d’un bonheur, du bonheur enfin, du bonheur comme on l’attend, pas simplement comme on l’entend. Du bonheur que, dans cette étape éphémère, rien ne peut encore salir, ni les mots, ni les espoirs idiots qu’on se fait, ni les attentes, les stupides « et après ? », ni rien du tout.
Non, je ne pouvais rien faire, c’est l’ordre des choses, c’est l’essence même de la vie. Il y a du mouvement. Partout, tout le temps. Ça bouge, ça avance.
Et pour nous aussi, ça a avancé. Oui, le jour venait de poindre, et il s’est réveillé. Nous nous sommes regardés, et nous avons hésité. Nous étions là, tous bêtes, revenus dans la dure réalité, la dure réalité où il faut parler, vite, vite parler pour remplir le temps, l’espace, pour créer un semblant de vie, de normalité. Alors que non ! Il fallait lutter, pour que rien ne devienne normal justement, pour vivre à jamais dans le rêve, dans l’incroyable, incroyablement simple et beau. Pour rester là où il n’y a pas encore de pudeur, de conventions, là où on se fiche d’avoir l’air intelligent, drôle et beau, parce qu’on ne sait même pas qu’on existe, parce qu’on n’a aucun recul sur soi-même, parce qu’on ne voit que le bonheur, que la perfection, sans même la comprendre. Nus de tout, et inconscients.
Tout de suite, il a fallu coller des étiquettes. Qu'étions nous?
Et nous étions là, avec nos étiquettes collés sur le front, qui nous bouchaient la vue, qui nous empêchaient de voir ce qui compte réellement : les moments qui passent entre nous. Nous étions presque heureux. A demi-heureux. Heureux comme on l’entend. Mais pas comme on l’attend. Forcés par notre propre regard à un bonheur de pacotille, un bonheur faux et prétendu, un bonheur tout bien comme il faut.
Il n’y a que dans de rares instants, logés au creux de la nuit, muets et attentifs, que nous apercevons au loin, vaguement, dans les rayons du soleil qui se lève, un bout du rêve qui passe. Mais qui passe sans nous, qui nous échappe. Parce qu’il est trop tard. Nous avons passé notre tour. Et ailleurs il y a d'autres personnes qui goûtent, sans le savoir, au vrai bonheur. Qu’ils le saisissent et l’attrapent, qu’ils l’empêchent de partir ! Rien au monde n’est plus important.